Testimonia

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S. G.

Enseignante de français depuis plusieurs décennies, j’ai pu me réjouir chaque année de l’engouement de mes élèves, quel que soit leur niveau, pour l’étymologie (très souvent latine) des mots.
A l’heure des réseaux sociaux qui clouent les jeunes au sol, ne coupons surtout pas les ailes de ces derniers en amputant le latin dans les programmes d’études.

Ariane Jung

J’ai étudié le latin pendant 7 ans, d’abord au cycle d’orientation des Coudriers, puis au collège Rousseau. 

Apprendre le latin peut sembler dépassé à l’heure où les technologies avancent rapidement et où les intelligences artificielles nous assistent au quotidien. Pourtant, le latin joue un rôle fondamental dans la formation de l’esprit. Le latin exige rigueur, logique et précision: il entraîne le cerveau à analyser, structurer et raisonner avec clarté. Quand on traduit une version, on ne traduit pas simplement des mots, on traduit un texte en lui donnant une interprétation. On fait appel à un jugement personnel, à une certaine sensibilité, que l’intelligence artificielle n’arrive pas encore à maîtriser. Ces compétences sont précieuses à une époque où la réflexion critique devient plus importante que jamais. 

L’enseignement du latin est varié, on ne se contente pas d’apprendre des déclinaisons, on apprend à mieux penser, à mieux comprendre, et à mieux s’exprimer. On apprend à prendre du recul. On étudie aussi la manière dont les gens vivaient en société il y a des milliers d’années. Cela permet de réaliser que l’être humain n’a pas tant changé.

Yuki Keiser

En tant que francophone, j’estime que l’étude du latin est essentielle pour mieux comprendre notre langue et notre culture. Les racines latines sont constantes dans la langue et les références à l’Antiquité abondent dans notre littérature, ainsi que dans notre culture. 

Mais cet intérêt pour le latin dépasse largement les frontières francophones. Dans mon travail aux États-Unis et au Japon, je constate combien le latin fascine et séduit. 

Par exemple, de nombreux comptes sur X (anciennement Twitter) consacrés à la langue latine rencontrent un immense succès. Le compte japonais « @latina_sama » en est l’illustration : avec plus de 105 000 abonnés, il témoigne d’un véritable engouement de la part des abonnés japonais. Ce succès est tel qu’il a donné naissance à un livre, « 世界はラテン語でできている » (« Le monde est fait de latin »), vendu à plus de 70 000 exemplaires et réimprimé plus de 5 fois. Ce livre met en évidence de manière ludique l’omniprésence du latin dans tous les domaines de notre vie quotidienne, en citant des exemples concrets. On peut aussi citer le manga sur la Rome antique « Thermae Romae » qui a été un succès phénoménal, traduit en plusieurs langues, dont le français. Il a été également adapté en film et en film d’animation. 

Aux États-Unis aussi, le latin a de nombreux fans. Certains de mes clients américains, notamment dans la tech, étudient ou ont étudié le latin, et de nombreuses écoles secondaires et universités continuent à l’enseigner. Il existe même des concours nationaux de latin, comme le National Latin Exam, qui attire chaque année plus de 100 000 participants. Cela montre que, même dans un contexte anglophone, le latin est perçu comme une richesse intellectuelle à conserver et à transmettre aux générations futures. 

Garder le latin dans nos écoles, c’est non seulement préserver un lien fondamental avec nos racines culturelles, mais c’est aussi transmettre un patrimoine précieux et passionnant aux jeunes d’aujourd’hui et du futur. 

C. d. J.

Enseignante de français et amoureuse de cette belle langue, je suis ravie que le latin me révèle une partie de ses racines.

D. D.

Pour ma part, le latin est une passion depuis le début. Je l’ai étudié au cycle, puis au collège, jusqu’à l’université, où j’ai été diplômée d’un master en latin classique. Diplôme qui a compté lorsqu’on m’a embauchée au service d’archives dans lequel je travaille aujourd’hui.
Pouvoir commencer l’apprentissage du latin dès le cycle est une chance. Nous pouvons en découvrir la grammaire et les textes à un rythme adapté. C’est également une aide précieuse pour l’apprentissage des langues vivantes. Principalement lorsqu’on aborde le système de cas en allemand ou en anglais, expliqué de manière plus précise en cours de latin car plus important pour la lecture des textes.
Une fois au collège, on y découvre la littérature et quand on arrive à l’université on est assez à l’aise avec la langue et la grammaire pour approfondir la linguistique et étudier la littérature. 
Le choix devrait donc être laissé dès le cycle aux élèves. Personnellement, je ne sais pas ce que j’aurais étudié à la place du latin, les options scientifique ou artistique ne me parlant pas du tout.

A. P.

Je suis tombée amoureuse du latin dès le cycle d’orientation. Mon entourage ne comprenait pas pourquoi j’ai choisi cette langue dite « morte », mais je me suis engagée dans cette voie et ne l’ai jamais regretté. Même si j’ai pris mes distances avec le latin à l’université, cette langue a profondément marqué mon parcours scolaire. Les cours de latin ne se limitent pas à l’apprentissage de la langue elle-même ; ils englobent également l’histoire, la culture et bien d’autres aspects fascinants. Le latin a façonné ma manière de penser et a influencé toutes les autres langues que je parle encore aujourd’hui. Grâce à lui, j’ai pu voyager depuis ma salle de classe et nouer des amitiés durables avec des camarades que je côtoie encore. Lorsque j’ai quitté la salle de classe après mon dernier examen de maturité en latin, mon cœur s’est serré à l’idée de tourner cette page de ma formation. Pourtant, le latin a fait de moi ce que je suis aujourd’hui, et je suis convaincue que chaque étudiant.e devrait avoir l’opportunité de découvrir cette langue, du cycle d’orientation jusqu’au collège.

Anouk

Il y a un peu moins d’une quarantaine d’années, j’ai eu la chance de passer les trois ans du cycle en latine (ma grand-mère me répétait « tu verras, cette gymnastique du cerveau te sera utile toute ta vie! »), puis d’enchainer sur les quatre ans de collège. C’est d’ailleurs grâce au latin que j’ai compris les cas en allemand. Cela m’a amenée à continuer par une demi-licence de latin à l’université. Puisqu’il s’agit de se retourner sur ce parcours l’espace d’un instant, la constellation des possibles est immense. Le Stabat Mater de Pergolese, que nous avons chanté des dizaines de fois dans des églises grâce à la maitrise et aux Pueri du Conservatoire de Genève, une expérience transcendantale pour les préadolescent.es que nous étions, j’en chantais, traduisais, comprenais les paroles. Pareil pour le Requiem de Mozart, le rapport au texte en est modifié, nous sommes proches. Cela m’accompagne encore aujourd’hui. Les visites de sites en Italie, avec les parents, puis avec les amis, puis avec les enfants, le bonheur de déchiffrer les inscriptions, d’être pourvu de ce pouvoir magique, d’être relié à cette profondeur de l’histoire. Les auteurs, dans le texte. Puis à l’Université, les cours de paléographie latine, déchiffrer des parchemins qui constituent l’histoire de Genève, pouvoir les comprendre. La constellation des possibles est immense. En cette période d’immédiateté, définie par les historiennes et historiens comme le présentisme, le règne de la communication immédiate, où la vision à long terme est d’autant réduite que la connaissance du passé s’efface, il est nécessaire, plus important que jamais, il est indispensable de continuer à comprendre le passé, son histoire, ses langues, ses langues qu’on dit mortes mais qui permettent de vivre d’autres dimensions.

Dominique Raviola

Quid? On voudrait supprimer le latin du programme de l’instruction publique ? Les barbares auraient déjà envahi la ville ? Voulons-nous vraiment une société de type 1984?

Celia

Au début de mes études secondaires, j’avais choisi l’option économie, pensant que c’était un choix « utile », orienté vers l’avenir et les débouchés professionnels. Pourtant, très vite, je me suis sentie en décalage. Je ne trouvais pas de sens à ce que j’apprenais, et je n’éprouvais aucun véritable intérêt pour les matières proposées.

C’est alors que j’ai pris une décision que certains ont jugée surprenante : j’ai quitté l’option économie pour me tourner vers les études classiques, avec le latin et le grec ancien. Ce choix, loin d’être un retour en arrière, a été pour moi une véritable révélation. Je ne l’ai jamais regretté.

Étudier le latin a profondément enrichi ma culture générale et m’a donné des bases solides pour apprendre d’autres langues, notamment les langues romanes. Mais ce n’est pas tout : le latin m’a appris la rigueur, la logique, et m’a permis de développer un véritable esprit critique. Chaque texte, chaque traduction, était un exercice de réflexion, presque un jeu intellectuel, qui m’a appris à aller au-delà des apparences.

Aujourd’hui, je travaille dans un domaine qui n’a rien à voir, en apparence, avec les langues anciennes. Et pourtant, je ressens chaque jour les bénéfices de cet apprentissage. Le latin m’a appris à structurer mes idées, à communiquer de façon claire et précise, à analyser les situations avec recul et méthode. Ce sont des compétences précieuses, recherchées dans tous les secteurs professionnels.

Je suis convaincue que les humanités classiques ne sont pas un luxe du passé, mais un véritable tremplin pour comprendre le monde, pour développer son intelligence et sa sensibilité. Choisir le latin, ce n’est pas tourner le dos à l’avenir, c’est au contraire se donner les moyens de l’aborder avec profondeur, lucidité et humanité.

Madeleine Rousset Grenon, helléniste
Claude Antonioli, latiniste

L’abandon des langues anciennes : risque d’amnésie culturelle ?

Chacun de nous est le résultat du développement et de l’histoire de tous ceux qui l’ont précédé. Cette « carte génétique culturelle » n’a d’existence que par une prise de conscience, qui ne peut se faire qu’à travers un révélateur nous permettant de nous inscrire dans l’histoire et d’être un maillon de la chaîne de l’humanité.

Sans cette transmission, la société court donc le risque d’une perte d’identité collective, perte qui déposséderait aussi chacun d’une part de son identité personnelle. Cicéron l’a écrit :

« L’homme qui ne connaît pas son passé reste toujours un enfant ».

Or si l’on est convaincu qu’il faut lutter contre ce risque d’une amnésie culturelle, c’est à l’enseignement qu’incombe prioritairement cette mission : l’école doit transmettre un patrimoine culturel et fournir les outils indispensables à son décryptage, à sa lecture. Le savoir d’aujourd’hui est le dernier maillon d’une chaîne sans cesse en devenir, et l’école n’est que le dépositaire temporaire et passager d’un savoir dynamique ; mais il faut qu’elle soit pleinement consciente de ce qu’elle veut prioritairement transmettre.

C’est dans cette perspective que s’inscrit l’étude des langues anciennes dans la formation des élèves : un tel enseignement ne devrait pas avoir pour but d’en faire les conservateurs d’objets fossilisés, mais plutôt leur permettre de construire un futur ancré dans la connaissance du passé qui a façonné leur identité.

Face aux conceptions utilitaristes de la formation, on peut se poser cette question essentielle : mesure-t-on les conséquences de la disparition, en une génération à peine, de cette « carte génétique culturelle » qui a mis des siècles à se constituer ? Peut-on laisser la voix du passé devenir inaudible ?

Quel accès aurons-nous à notre patrimoine écrit en latin lorsque plus personne ne saura le lire hormis quelques érudits pointus ? En d’autres termes: quelle culture historique pour demain, et quel impact de la connaissance du latin (et du grec) sur la construction de cette culture ?

John Scheid, professeur au Collège de France, dans sa leçon inaugurale, nous avertit :

« Les premières chaires de langues classiques avaient pour mission (…) de rendre intelligibles les Ecritures dans le contexte agité du XVIe siècle. Dans son discours inaugural sur les humanités, Barthélémy Latomus rappelait que de nombreux passages « des divines Ecritures … demeurent inintelligibles et … qu’on ne peut (les) commenter avec bonheur dans aucune de leurs parties sans la connaissance des lettres humaines. J’ai peur que ce constat et cette mission ne demeurent d’actualité, même si de nos jours ce n’est plus seulement le texte biblique que l’on doit rendre intelligible, mais plus généralement l’ensemble des sources classiques. « [1]

Toutefois, la question de l’accès aux textes en latin ouvre à un paradoxe, que l’on pourrait intituler « le paradoxe de l’étudiant en histoire ».

En effet, les sources antiques, grecques et latines, sont pour la très grande majorité traduites.

Ainsi, l’étudiant en histoire ancienne dispose de tous les auteurs en traduction et, mises à part les sources épigraphiques, il peut à la limite se passer de savoir le latin ou le grec : il lit en français tous les textes antiques nécessaires à son information, à son analyse et à sa réflexion. On a entendu certains étudiants en histoire « avouer » avoir choisi d’étudier l’histoire de l’Antiquité plutôt que l’histoire médiévale ou byzantine « parce qu’il n’y a pas besoin de savoir le latin (ou le grec) ». Paradoxe !

On se trouve même dans une situation doublement paradoxale. L’étudiant en histoire de l’Antiquité aura en effet accès aux textes, quasiment tous traduits en langues modernes et pourra donc les utiliser, mais il s’y plongera, s’il n’a pas étudié la langue antique qui les porte, comme un « analphabète culturel » : il lui manquera l’accès à l’apport de la langue originale, qui seule peut donner aux mots le poids de leur connotation historique et culturelle. Certes, une bonne culture antique à travers les traductions n’est pas négligeable et peut déboucher sur une réflexion pertinente ; mais manqueront toutefois à cette réflexion la subtilité et l’acuité que seul permet le recours au texte original.

Prenons un exemple : la différence de sens entre ius et fas (ius se référant à la justice des hommes alors que fas est lié à la justice divine) ne sera pas forcément rendue par la traduction qu’utilise l’étudiant – or, ne pas percevoir si le texte parle de l’une ou de l’autre notion expose à de graves erreurs interprétatives et peut faire passer à côté du sens. Ainsi, l’étudiant non-latiniste / non-helléniste qui choisirait l’histoire de l’Antiquité par « facilité » d’accès aux sources manquera de la culture que seule la connaissance de l’intérieur des textes originaux en latin ou en grec peut lui apporter.

Quant à l’étudiant qui choisit d’étudier les différentes périodes de l’histoire occidentale plus récentes, jusqu’au XVIe siècle compris, il est paradoxalement mis en demeure d’être capable de lire et comprendre des textes en latin, dans la mesure où les sources de ces périodes, innombrables quantitativement par rapport aux sources antiques, sont rédigées principalement en latin et ne sont pas traduites – voire non éditées. Il s’agit, en particulier, de textes d’archives, fondement de toute recherche historique originale. S’il ne maîtrise tant soit peu le latin, l’étudiant ne peut alors, au sens propre, « lire les sources ».

Au professeur universitaire de suppléer ? Certains professeurs se voient contraints de traduire les sources pour leurs étudiants, avant que le travail d’analyse ne puisse commencer ! Mais quid quand ce seront les professeurs universitaires de la génération suivante qui n’auront plus accès à la langue latine ?

Force est donc de revenir à cette capacité de lecture, à cette « érudition » qui permet à l’historien de lire les textes qui constituent les sources de sa réflexion : érudition avant réflexion, érudition avant interprétation – « érudition » au sens étymologique de « ce qui fait sortir de l’état de « rudus » (« mal dégrossi »), ce qui dégrossit, affine » et donne les moyens d’exercer l’analyse et la réflexion. Gérard Giordanengo, professeur d’histoire du droit à l’Ecole des Chartes, parle du « nouveau et nécessaire « retour à l’érudition » qui remet en honneur les sciences historiques fondamentales, sans lesquelles il n’est pas d’histoire solide. »[2]

En effet, ne travailler que sur de la littérature secondaire, comparer les analyses divergentes de penseurs sans avoir un contact premier avec l’objet de la controverse, aller puiser de l’information à l’authenticité non contrôlée de site internet en site internet ne peut conduire qu’à une déperdition du sens et à une dépersonnalisation des savoirs.

Le recours direct aux sources authentiques devient une exigence urgente, face à un usage peu critique d’Internet, qui amène à croire que la page d’un site constitue le savoir lui-même, alors que ce n’en est qu’un objet secondarisé et un «digest» vulgarisé.

« Le recours aux sources remplit en histoire ancienne le rôle que joue l’expérience dans les sciences dites exactes. Faire de l’histoire ancienne consiste, en fait, à recommencer sans cesse des expériences (…). Même si le chercheur prend la suite de nombreux prédécesseurs, parfois illustres, des résultats ne peuvent manquer d’apparaître tant les sources sont, en fait, complexes et restent insuffisamment étudiées. »[3]

Ces paroles d’un célèbre antiquisant s’appliquent-elles uniquement à l’histoire ancienne. La relation de contrôle du savoir, qui caractérise la démarche intellectuelle, est indispensable pour toutes les disciplines. Le travail sur les sources nécessite une approche intellectuelle qui fait alterner hypothèse, recherche, contrôle, nouvelle hypothèse. En sciences humaines comme en sciences expérimentales, cette démarche ne peut se faire que sur l’objet authentique dans toute sa complexité, et non sur sa version simplifiée et médiatisée par le discours d’autrui : à partir de cette version-là, on a peu de chance de découvrir quoi que ce soit, et l’on risque de prendre pour l’objet réel ce qui en est déjà une interprétation secondarisée.

Le chercheur digne de ce nom doit être capable de faire émerger les concepts et les problématiques à partir des sources originales, même si c’est parfois pour en souligner le caractère stéréotypé. On ne peut poser les bonnes questions qu’à partir de données de première main.

Ainsi en histoire de l’art, l’étude des figures d’Enée portant son père Anchise, pour prendre un thème souvent illustré, ne saura livrer toutes ses potentialités d’interprétation au chercheur qui n’aurait pas lu l’Enéide et qui, parallèlement, ne connaîtrait pas parfaitement l’époque de l’oeuvre artistique. C’est seulement avec cette connaissance des référents qu’il pourra peut-être trouver dans telle représentation ce que les chercheurs antérieurs n’y avaient pas vu. Cette exigence d’authenticité des connaissances a une autre vertu encore : elle implique une connaissance rationnelle, elle empêche la mystification et le discours idéologiquement biaisé qui risque, dans certains contextes, de se substituer aux faits réels. Et là, le devoir des spécialistes du passé et notre devoir d’enseignants sont aigus, urgents, face aux idéologies qui s’accaparent l’histoire. Seule une culture fondée sur l’analyse critique et raisonnée des témoignages permet d’avoir le regard lucide qui restitue les différentes strates chronologiques qui nous séparent de l’objet d’étude. Il s’agit non seulement d’avoir des chercheurs capables de connaître et d’analyser des sources mais également d’en permettre l’accès au plus grand nombre possible afin d’assurer un contrôle citoyen du savoir.

« L’étude des civilisations mortes constitue ainsi, à mon sens, un outil irremplaçable pour garder un contrôle sur les affirmations concernant l’identité de sa communauté, de son pays, de son continent, non moins que sur les discours identitaires des autres. Vous ne serez pas surpris si je vous dis que l’histoire des religions du passé – ou des religions dans le passé – a mission de jouer dans ce contrôle un rôle capital. En opposant aux discours sectaires les armes universelles de l’histoire, de la philologie et de l’anthropologie, bref tout l’arsenal de la science et de la raison, l’histoire des religions du passé nous met en mesure de dégonfler les mythes modernes, ceux des autres, mais également les nôtres. Elle permet de repérer la projection dans le passé imaginaire des « origines » de fantasmes nationalistes, religieux ou racistes, et de désarmer les interprétations outrées qui peuvent être faites des textes sacrés. (…) Elle permet de contester le « miracle grec », le « génie romain », la « supériorité germanique », ou encore la dialectique hégélienne qui veut que les religions et l’histoire tendent vers le monothéisme chrétien. »[4]


[1] John Scheid, Leçon inaugurale au Collège de France, 2002, p. 24.

[2] Préface à N. Carrier, M. de La Corbière, Entre Genève et Mont-Blanc au XIVe siècle, Mémoires et documents publiés par la Société d’Histoire et d’Archéologie de Genève, tome 63, Genève, 2005.

[3] John Scheid, op.cit., p. 29.

[4] John Scheid, op.cit., p. 16.